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Les bureaux et le travail de bureau : l’avènement de l’ère des réseaux

Juin 2025

L'expert

Dr Rob Harris

Dr Rob Harris

Researcher, Advisor and Writer

Author of A History of the Office and Office Work: 

from Castle to Condominium (2025)

 

L’économie des bureaux a traversé quatre grandes époques. L’ère marchande du XVIIIe siècle se caractérisait par les cafés, les bourses, ainsi que les premières banques et compagnies d’assurance, dont les propriétaires et les employés vivaient souvent « au-dessus de la boutique ». L’ère de l’usine administrative vit une croissance rapide, la mécanisation et la féminisation des bureaux, ainsi que l’émergence de bâtiments imposants et ostentatoires des sociétés par actions, au milieu et à la fin du XIXe siècle. Le travail des employés de bureau était routinier et pénible ; les journées longues, les bureaux primitifs chauffés au charbon, mal ventilés et éclairés naturellement ou à la bougie.

Cette période fut suivie par l’hégémonie des entreprises au XXe siècle. Un trait marquant du corporatisme était la departmentalisation pyramidale – une séparation hiérarchique des fonctions (finance, juridique, paie, RH, marketing, formation, etc.), au sein desquelles les employés « progressaient » dans leur carrière par des niveaux de séniorité très fins. À cette époque, les entreprises devenaient toujours plus grandes et complexes pour répondre aux exigences d’un environnement commercial mondial en mutation rapide. Une gestion centralisée assurait la prévisibilité d’organisations planificatrices, offrant des emplois à vie. Ces structures étaient, sous bien des aspects, tournées vers l’intérieur, imperméables et autosuffisantes.

Enfin, les années 1990 ont marqué l’avènement de l’ère numérique, qui a bouleversé l’économie des bureaux grâce au travail de la connaissance facilité par la technologie. Dès le milieu des années 1980, les ordinateurs personnels ont révolutionné le travail, et leur impact a été amplifié par l’e-mail, Internet, les téléphones mobiles et intelligents, puis les réseaux sociaux. En très peu de temps, le monde du travail s’est vu totalement transformé : essor de l’économie fondée sur le savoir, des entreprises basées sur l’expertise, et du travail intellectuel.. Un basculement du corporatisme vers l’individualisme s’est opéré, entraînant des conséquences majeures pour les relations sociales au bureau.

L’article soutient que nous sommes aujourd’hui à l’aube d’une cinquième époque : celle de l’ère des réseaux. Cette ère verra le déclin des « îlots corporatifs » au profit d’entreprises interconnectées, de la spécialisation accrue et d’un travail fondé sur la connaissance, structuré par l’intelligence artificielle. Les écosystèmes d’affaires impliqueront grandes et petites entreprises, travailleurs indépendants et experts spécialisés dans des relations étendues et collaboratives. La connectivité, l’évolution des structures et les priorités des travailleurs du savoir modifient la forme même de l’entreprise. Les attitudes sociales envers le travail évoluent rapidement, et l’idée de travailler des décennies pour un seul employeur disparaît. De plus en plus de personnes gèrent elles-mêmes leur emploi du temps et choisissent où, quand et comment elles travaillent. Les « îlots corporatifs » du passé deviennent plus perméables.

Ces tendances ont d’énormes implications pour le secteur immobilier. Les modèles traditionnels d’organisation et de carrières s’effacent. De même que l’ère précédente fut définie par la technologie, la prochaine le sera par la gestion des réseaux, des relations et des savoirs. Cela transformera profondément les lieux de travail : au lieu de gérer une main-d’œuvre homogène, disciplinée et sédentaire, les managers devront composer avec une main-d’œuvre mobile, exigeante, disruptive et sélective.

En plus de fournir un lieu physique pour définir la stratégie, les priorités et la mission de l’entreprise, et un espace où le travail « se fait », le bureau de l’ère des réseaux deviendra un lieu de rencontre, de collaboration, d’apprentissage et de socialisation. Tout comme les cafés d’il y a trois siècles.

Alors qu’autrefois les entreprises devaient investir dans des actifs coûteux et durables – comme l’immobilier ou les systèmes informatiques –, le paysage technologique actuel leur permet de rivaliser à l’échelle mondiale avec peu de capital, grâce à des technologies bon marché et omniprésentes – sans avoir à créer des armées hiérarchiques ni de lourdes structures départementales. L’ère des réseaux permettra aux individus et aux micro-entreprises de valoriser leur capital intellectuel via ces outils technologiques. Ils pourront s’immatriculer en ligne, lever des fonds grâce au financement participatif, ou recruter des compétences à l’international. Dans les grandes structures, les relations de travail se formeront et se dissoudront en fonction des projets ; les concurrents deviendront partenaires.

L’entreprise gardera sa fonction de protection juridique, mais pour un nombre croissant de personnes, il n’y a ni prise de risque significative, ni coûts de transaction notables. La raison d’être de l’entreprise devient plus éphémère – en écho aux nouvelles priorités des travailleurs : le besoin d’une communauté relationnelle. Qu’ils travaillent pour une micro-entreprise ou une structure plus large, beaucoup aspirent désormais à partager un sens, des valeurs et des expériences – plutôt que des jeux politiques et des primes. Pour cela, les entreprises devront devenir plus fluides, ouvertes et adaptables, en favorisant les réseaux en leur sein et entre elles.

Une des caractéristiques clés de cette nouvelle ère est le changement constant et imprévisible. Les organisations devront pouvoir s’adapter rapidement, et les réseaux, bien plus flexibles que les hiérarchies pyramidales traditionnelles, le permettent. Ils présentent peu d’inertie, et leurs nœuds peuvent évoluer en fonction des priorités du moment.

Nos présupposés sur le travail de bureau et les organisations doivent donc évoluer. L’ère des réseaux exigera des approches innovantes en matière de conception, d’exploitation, d’occupation et de gestion des bureaux.

Date de parution : Juin 2025

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