Mobilitis rejoint Kardham : un mariage de raison et d'ambition

Mars 2018

Interview de Frédéric Miquel par Jean-Paul Fournier – Dans Office et culture N°47

Fin 2014, Amsycom annonce l’acquisition de l’agence toulousaine d’architecture Cardete Huet. Fin 2016, le nouvel ensemble prend le nom de Kardham. Fin 2017, Kardham annonce l’acquisition de Mobilitis. Les fins d’année sont décidemment favorables aux mouvements stratégiques du groupe. Frédéric Miquel, directeur associé de Kardham, expose le comment et le pourquoi de cette opération de croissance externe.

Qui a pris l’initiative de la négociation ?

Nous savions par des bruits de marché que Mobilitis était à la recherche d’un actionnaire. Nous connais-sions, évidemment, la société avec laquelle nous étions régulièrement en concurrence sur des appels d’offres, et dont nous avions remarqué la stratégie de tirer la qualité de son offre vers le haut. Mobilitis avait aussi une particularité intéressante, celle de proposer à ses clients, depuis sa création, des services amont, c’est-à-dire dans la partie immobilière de la chaîne. Or chez Kardham, nous ne sommes jamais vraiment parvenus à construire une telle offre, par défaut de réseau et expérience insuffisante de ces métiers. Nous en connais-sions, par ailleurs, assez de la société pour savoir que ses valeurs, sa culture et ses problématiques étaient, a priori, proches des nôtres et qu’il y avait là pour nous une occasion unique d’atteindre la taille critique et d’étendre nos savoir-faire. C’était une opportunité et nous pensions qu’il y avait une réelle compatibilité entre les deux sociétés. Nous sommes donc entrés en négociation.

Qu’entendez-vous par taille critique ?

Nous  considérons, chez  Kardham, que dans un contexte de concentration du secteur, la taille est un élément  stratégique. Cette concentration (que l’on observe aussi chez les majors d’origine anglo-saxonne opérant en France) a des conséquences à la fois sur le marché et sur la vision que les clients ont de ses acteurs. La fusion Amsycom/Cardete Huet était un pre-mier pas dans cette direction, avec un modèle un peu différent de ce qui se fait le secteur.De la taille dépend aussi la puissance opérationnelle. Or les grosses opérations sont de retour. Je ne sais pas encore si c’est à cause de la sortie de crise ou s’il s’agit d’une nouvelle tendance, mais les entreprises veulent évoluer, bouger, adapter leur organisation et mettre en place de nouvelles manières de travailler. Pour travailler sur ces grands projets, il faut pouvoir aligner des équipes de 10 à 12 personnes, comprenant souvent des professionnels à l’expertise très spécifique. Le coût de ces experts n’est supportable qu’à partir d’un certain volume d’affaires. Sans cette expertise en interne, il est difficile d’être dans ce que j’appelle le top of mind, c’est-à-dire la liste des cinq sociétés qu’un donneur d’ordre qui a un projet de 30 000 m² ne peut pas ne pas consulter.

Avant  l’absorption  de  Mobilitis,  Kardham  comptait  180 collaborateurs, dont 80 à Toulouse et 35 dans notre agence  parisienne d’aménagement.  Avec Mobilitis, nous aurons, à Paris, une équipe de 90 personnes, de taille comparable à celle des leaders parisiens, grâce à laquelle nous conforterons notre part de marché en Île de France où nous étions sous-représentés.Amsycom et Cardete Huet étaient, en effet, toutes deux d’origine  provinciale  (respectivement  Strasbourg et Toulouse) ce qui explique la forte activité de Kardham en région. Mais maintenir un réseau national et assurer une présence forte à Paris supposent des ressources qui, elles aussi, sont corrélées à la taille de l’entreprise. Le renfort des équipes de Mobilitis va nous permettre maintenant d’être identifiés comme un acteur parisien indiscutable.

Allez-vous élargir et/ou approfondir votre offre ?

Nous avons, chez Kardham, une équipe workplace de qualité, ayant plusieurs années de pratique et dispo-sant d’une caisse à outils méthodologiques éprouvés. L’application de l’approche consultant au domaine de l’aménagement a eu pour effet collatéral de révéler des besoins de plus en plus importants en change management. Nous pourrons mieux répondre à cette demande grâce à l’équipe de change de Mobilitis. De même, le grand savoir-faire de l’équipe Studio de Mobilitis en termes de design d’espace et de graphisme apportera un vrai plus à nos projets. En ce qui concerne l’aménagement de nos propres locaux, nous nous ins-pirerons, à l’évidence, de l’exemple de Mobilitis. Bien sûr, les services amont en matière immobilière dé-veloppés par Mobilitis viendront renforcer notre cata-logue. Même si c’est une activité souvent cyclique, elle est, à l’évidence, rentable et permet de se positionner chez le client très tôt et au plus haut niveau. L’atteinte de la taille critique et la relative aisance économique qui l’accompagne vont aussi nous permettre de nous doter de fonctions « à effet de moyen terme ». Nous pourrons ainsi, pour la première fois et dès cette année, développer un embryon de structure R&D. Nous avons déjà recruté un docteur en histoire sociale dont la mission sera de brasser de la littérature professionnelle et universitaire, de produire des synthèses et de venir en support des équipes commerciales sur les propositions complexes. Il devra aussi produire « du jus de cervelle » utilisable et transposable en méthodologies, créer des liens avec le milieu universitaire, trouver des doctorants au croisement de l’architecture et des sciences sociales, intéressés par la recherche sur le futur des espaces de travail. La conception de lieux favorisant les dynamiques sociales sera au cœur des enjeux.Je souhaite aussi que nous engagions une réflexion sur le BIM. À l’heure où les maîtres d’ouvrage publics ont l’obligation de travailler en BIM, nous devons, de notre côté, répondre à toute une série de questions comme, par exemple, ce que signifie être un AMO BIM. À côté de l’excellence opérationnelle, j’ai donc la certi-tude que l’autre facteur clef de succès qui va s’imposer, c’est le leadership intellectuel. Pour l’affirmer, nous al-lons devoir rationaliser nos recommandations, avec les limites des sciences humaines et construire des ponts entre le business, les clients, l’application pratique et la recherche universitaire. Nous aurons alors atteint notre objectif d’associer à Kardham deux qualificatifs : indiscutable et irrésis-tible. Indiscutable avec l’appartenance au top of mind et irrésistible parce que nous proposerons au client une histoire véritablement différenciante.

Comment voyez-vous l’intégration des équipes ?

Mobilitis et Kardham (les métiers du conseil et de l’aménagement, du moins) sont très similaires. Nous avons la même activité, la même offre de conseil en amont  et  de  réalisation  en  aval, la même typologie de clientèle et des collaborateurs au profil identique qui sont souvent sortis des mêmes écoles. Seuls, les modes d’organisation sont différents. Il s’agira donc, essentiellement, de fusionner des structures dans une logique organisationnelle sans approche impérialiste et en gardant le meilleur des deux entités. Ce sera une fusion pensée par des industriels qui ont acquis une capacité productive et des compétences complémentaires, non par des financiers qui cherchent à dégager des synergies pour faire des économies. Il faut que notre structure et notre organisation, y com-pris celle des fonctions support, correspondent à une société employant 300 personnes et réalisant 60 mil-lions d’euros de chiffre d’affaires. Il faut  aussi que Kardham puisse continuer à croître et passer à 400 ou 500 collaborateurs, au cas où nous ajouterions à notre palette de services un métier de l’ingénierie ou du conseil. 

Quelle évolution à long terme pour ce kardham renforcé ?

Le rapprochement entre Amsycom et Cardete Huet et le changement de nom qui s’en est suivi, témoignent, entre autres objectifs, de notre volonté d’avancer dans la quête prométhéenne qu’est l’unification de la dé-marche : concevoir un bâtiment de A à Z, y compris tous les aménagements intérieurs, à l’image de la pra-tique américaine. Mais les obstacles sont nombreux et à différents niveaux. Ainsi un donneur d’ordre public est obligé de séparer l’AMO de la MOE, la conception de la réalisation. Tout ce qui est en amont, workplace compris, est une forme de programmatique qui doit se nourrir des contraintes de la réalisation, comme le constructeur doit antici-per techniquement les exigences du programme. La continuité du projet, de la réflexion stratégique à sa réalisation  physique, me semble un enjeu majeur. Compte-tenu du poids de la commande publique dans l’architecture, il serait intéressant de contourner ce blocage pour produire des projets plus aboutis, plus proches des usages réels des utilisateurs.Dans le privé, il reste à faire un long travail d’évangélisation pour que les clients modifient leurs habitudes. Les entreprises ont souvent leurs architectes attitrés qui ont, généralement, une vision cloisonnée des opérations, assez lointaine de la logique conception-réalisation-contractant général. La réflexion englobant dans un même mouvement le conceptuel et l’opérationnel, n’est pas encore un concept facilement admis. À moyen terme, j’ai une totale confiance dans la réussite de cette nouvelle équipe fusionnée parce qu’elle a une culture commune et que les collaborateurs ont envie de comprendre le monde et de contribuer à son évolution positive. À notre modeste échelle, l’objectif que nous cherchons à atteindre est à la fois lyrique et bienveillant : que les gens soient plus efficaces et bénéficient d’une meilleure expérience de vie au travail.

Propos recueillis par Jean-paul Fournier et validés par l’auteur (photo : Jean-Marc Gourdon)

 

 

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Sylvain Queriaud

Sylvain Quériaud

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