ProspeKtive

Les nouveaux modes de management et d’organisation : innovation ou effet de mode ?

Janvier 2023

L'expert

Expert - Suzy Canivenc

Suzy Canivenc

Docteure en Sciences de l'Information et de la Communication

Enseignante-chercheuse en communication et management

Chercheuse associée à Mines Paris-Tech-Chaire Futurs de l’industrie et du travail

Depuis les années 2010, les entreprises s’intéressent activement à de nouveaux modes de management et d’organisation (NMMO) : holacratie, entreprises agiles, libérées ou encore « opale »... autant d’étiquettes en vogue qui, souvent, souffrent de définitions floues et embrouillent les acteurs plus qu’elles ne les éclairent pour faire face aux défis organisationnels actuels. Ce qui ne les empêche pas d’être l’objet d’un fort engouement, amenant à se demander si nous sommes face à de véritables innovations ou de simples effets de mode.

Un mouvement déjà ancien

Les promoteurs de ces courants les présentent souvent comme des ruptures conceptuelles amenant les entreprises à dépasser définitivement le modèle tayloriste. Cette ambition est cependant loin d’être nouvelle puisque les premières théorisations en la matière datent des années 1920.... On en retrouve en effet les prémisses dans les travaux précurseurs d’Elton Mayo, à l’origine de l’École des Relations Humaines (ERH). Ce premier courant, composé de psychologues et de sociologues, a cherché à élargir la vision que l’on a de l’efficience au travail en prenant en compte les facteurs humains oubliés par Taylor. Une sensibilité que l’on peut d’ailleurs faire remonter au XIXème siècle avec les penseurs et expérimentateurs du « socialisme utopique » (Proudhon, Fourier, Godin…).

Tout au long de la deuxième moitié du XXème siècle, des courants se succéderont dans le sillage de l’ERH : l’approche socio-technique dans les années 1960-70, l’école japonaise qui donnera naissance au lean management dans les années 1980-90, les méthodes agiles au début du XXème siècle. Un mouvement qui foisonne à l’heure actuelle avec l’apparition de multiples courants plus complémentaires que concurrents.

Tous ces courants incitent les entreprises à tirer parti des capacités d’auto-organisation des équipes de travail pour améliorer tout à la fois la productivité et le climat social.

 

Une question de déploiement

La mise en œuvre de ces différents courants aboutit donc souvent au même type de pratiques[1] : reconfiguration du design organisationnel de l’entreprise sous forme de petits unités opérationnelles  chargées de s’auto-organiser par le biais de nouvelles instances de discussion collectives ; évolution de la posture des managers, priés d’abandonner l’autoritarisme et le contrôle pour devenir des « coachs» au service de leur équipe ; pratiques RH exercées de manière plus collectives mais aussi plus flexibles.

Il existe en revanche une différence profonde dans la manière dont ces pratiques sont déployées, et dans l’intention qui les sous-tend. Certaines entreprises vont imiter un modèle d’organisation copié de l’extérieur, sans prendre la peine et le temps de l’adapter aux spécificités de l’organisation (secteur d’activité et métiers, culture organisationnelle et managériale), en recherchant des gains d’efficience à court terme au travers d’une recette magique. On est alors dans un effet de mode où finalement « plus ça change, plus c’est la même chose »[2] : les pratiques évoluent, mais le modèle hiérarchique et rationaliste de Taylor perdure. D’autres entreprises, au contraire, cherchent à inventer leur propre modèle. Elles peuvent s’inspirer d’un ou de différents courants organisationnels (agilité, holacratie, lean) mais font toujours l’effort de l’adapter à leurs réalités opérationnelles en impliquant activement les salariés dans l’expérimentation de nouvelles pratiques. Un processus souvent beaucoup plus long mais qui brise réellement le cadre taylorien en misant sur la participation et l’expérimentation.

Un même courant organisationnel peut donc autant engendrer de véritables pratiques innovantes qu’être l’objet d’un simple effet de mode. Finalement, plus que le modèle organisationnel dont on se réclame, ce qui importe ici est la manière dont on le déploie.


[1] Canivenc, Suzy (2022). « Nouveaux modes de management et d’organisation : six pratiques récurrentes et leurs limites ». Les Cubes de la Fabrique de l’Industrie, 24 novembre 2022. https://www.la-fabrique.fr/fr/publication/nouveaux-modes-de-management-et-dorganisation-six-pratiques-recurrentes-et-leurs-limites/

[2] Watzlawick, P., Weakland, J., & Fisch, R. (1975). Changements. Paradoxes et psychothérapie. Seuil.

 

Canivenc, Suzy (2022). Les nouveaux modes de management et d’organisation, innovation
ou effet de mode ?
 Presse des Mines, Collection Les Notes de la Fabrique. 
https://www.la-fabrique.fr/fr/publication/les-nouveaux-modes-de-management-et-dorganisation/

Date de parution : Janvier 2023

Lire aussi

Entre digital et végétal, la convergence pour changer de modèle urbain

Expert - Arnaud Pagès

Arnaud Pagès

Rédacteur en chef indépendant chez L'ADN

Auteur du livre "Villes de Demain" - Michel Lafon

Comment améliorer la performance environnementale grâce à ses employés ?

Expert - Virginie Francoeur

Virginie Francoeur

Professeure de changement organisationnel, département de mathématiques et de génie industriel à Polytechnique Montréal