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Migrations résidentielles et crise de la Covid-19 : vers un exode urbain en France ?

Avril 2023

L'expert

Expert - Alexandra Verlhiac

Alexandra Verlhiac

Economiste Doctorante - Meilleurs Agents

Les envies résidentielles des Français ont fait couler beaucoup d’encre pendant la crise de la Covid-19. A en croire la presse, les espaces extérieurs, les zones moins denses ou encore la nature auraient fait rêver les Français pendant la crise et les mois qui ont suivi.

L’enquête Toluna pour Meilleurs Agents[1] de juillet 2021[2] révèle en effet que parmi les personnes qui ont changé de résidence principale depuis juillet 2020 ou qui prévoyaient de le faire avant janvier 2022, la moitié a modifié ses critères de recherche pour avoir un jardin (39 %), être plus proches de la nature (34 %) ou vivre dans une ville plus petite (19 %).

Néanmoins, ces envies ne sont pas nouvelles. Pour preuve, D’Alessandro et al. (2021), expliquent que la croissance annuelle moyenne de la population entre 2007 et 2017 était de 0.66 % dans les zones rurales mais de seulement 0.38 % dans les zones urbaines. De la même façon, en 2019, une enquête de l’IFOP[3] montrait que 57 % des personnes vivant dans les zones urbaines souhaitaient les quitter. Trois obstacles principaux les empêchaient de faire le grand saut, notamment le manque de services (pour 60 %), le manque d’infrastructures de transport (pour 53 %) et les difficultés d’accès à l’emploi (pour 46 %).

Ce dernier obstacle pourrait cependant être levé pour la partie de la population pouvant télétravailler. En effet, cette pratique s’est accélérée avec la crise. Dans l’enquête Toluna3, Meilleurs Agents indique qu’environ 50 % des travailleurs envisagent de poursuivre en télétravail après la pandémie. Toutefois, 60 % d’entre eux souhaitent ne pas travailler à distance plus de deux jours par semaine et seulement 19 % souhaitent travailler à distance à plein temps.

Pour savoir si nous faisons face à un exode urbain en France, il est nécessaire de retracer des flux de mobilités. Toutefois, les données détaillées et représentatives de l’INSEE qui permettraient d’analyser si les déterminants de la mobilité résidentielle ont changé depuis la crise Covid‑19 ne sont pas encore disponibles[4]. Ainsi, l’originalité de notre étude réside en partie dans la donnée utilisée pour connaître les intentions de mobilité en temps quasi-réel durant les différentes phases de l’épidémie. Nos travaux s’inscrivent dans le programme de recherche "L'exode urbain ? Petits flux, grands effets", opérée par PUCA/POPSU[5], au cours duquel notre équipe avait également analysé les mobilités effectives grâce aux contrats de réexpédition de courrier auprès de La Poste.

Pour analyser la modification des intentions de mobilité résidentielle des français avec la crise, nous avons mobilisé des données qui décrivent le comportement des utilisateurs de la plateforme Meilleurs Agents. Celle-ci est notamment connue pour son outil d’estimation immobilière en ligne et attire ainsi 2,4 millions de visiteurs uniques par mois. Dans la littérature académique, l’utilisation de telles données à haute fréquence est récente et prometteuse, car elle permet d’observer le comportement des utilisateurs en suivant chaque étape de leur projet d’achat de logement.

L’outil d’estimation de Meilleurs Agents se présente comme un formulaire en ligne, dans lequel l’utilisateur renseigne les caractéristiques du bien, dont l’adresse, afin d’obtenir une estimation de son prix. Nous lui demandons également s’il estime le bien parce qu’il le possède, si oui à quel titre (est-ce sa résidence principale ?), ou parce que c’est un bien qu’il souhaite acheter. Il est à noter que pour obtenir le résultat, l’utilisateur doit être connecté. Cela nous permet, grâce à un identifiant anonymisé, de suivre son activité sur la plateforme.

Ainsi, en conservant parmi toutes les estimations faites en tant qu’acheteur entre le 1er janvier 2019 et le 20 septembre 2021, les utilisateurs qui nous ont déclaré être propriétaire d’une résidence principale via une estimation en ligne préalable, nous avons pu reconstituer plus de 100 000 flux d’intention de mobilité pour plus de 80 000 utilisateurs différents.

Grâce à une analyse économétrique de ces données nous obtenons deux principaux résultats. Premièrement, parmi nos utilisateurs recherchant depuis une zone urbaine, la probabilité de rechercher en dehors de l’Aire d’Attraction de sa ville de résidence est 13% plus élevée depuis la crise. Pour les résidents ruraux, cette probabilité augmente de 10,8%. Notre second résultat concerne la probabilité de chercher dans une zone rurale depuis une zone urbaine qui augmente de 7,7% depuis la crise. En revanche, il n’y a pas d’augmentation significative pour les résidents ruraux. Quand on croise les deux dimensions, on voit que la probabilité de chercher dans une zone rurale dans une autre aire d’attraction plutôt que de chercher dans une zone urbaine dans l’aire d’attraction de son lieu de résidence est plus élevée depuis la crise (+13,9% pour les résidents urbains et +18,7% pour les résidents ruraux). Ainsi, nos utilisateurs urbains cherchent significativement plus loin et plus dans les zones rurales depuis la crise.

D’ailleurs, le marché de l’immobilier résidentiel ne semble pas avoir été insensible à la crise. Chez Meilleurs Agents, nous relevons une inversion des tendances de prix. Avant crise, les hausses de prix en France concernaient surtout Paris et les 10 plus grandes villes françaises (resp. +21% et +22% entre mars 2017 et mars 2020) quand les prix augmentaient moins dans les zones rurales (+4,6%). Au contraire, entre mars 2020 et février 2023, les prix ont augmenté de 21,5% dans les zones rurales, ont baissé de 2,5% à Paris, et augmenté seulement de 17,4% dans les 10 plus grandes villes françaises (moyenne qui est tirée par Marseille avec une augmentation de +33%).

Comprendre l’ensemble de ces changements dès à présent représente un enjeu majeur en termes de politiques publiques, notamment pour les territoires devenus attractifs et qui doivent anticiper les besoins à venir en infrastructures. Les enjeux s’expriment également en termes de choix privés, que ce soit pour des investisseurs institutionnels ou pour des ménages se constituant un patrimoine.



Bibliographie

  • Breuillé, M.‑L., Le Gallo, J. & Verlhiac, A. (2022). Residential Migration and the COVID‑19 Crisis: Towards an Urban Exodus in France? Economie et Statistique / Economics and Statistics, 536‑37, 57–73. doi: 10.24187/ecostat.2022.536.2084
  • D’Alessandro, C., Levy, D. & Regnier, T. (2021). Une nouvelle définition du rural pour mieux rendre compte des réalites des territoires et de leurs transformations. In : Insee, La France et ses territoires, coll. Références ‑ Édition 2021, pp. 61–72. https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/5039991/FET2021‑D4.pdf

[1] Meilleurs Agents, plateforme spécialisée dans l'estimation immobilière en ligne.

[2] Enquête Toluna pour Meilleurs Agents, menée du 5 au 11 juillet 2021 auprès de 2 722 personnes représentatives de la population française, dont 1 133 ayant déménagé ou comptant le faire.

[3] https://www.ifop.com/publication/le-retour-a-la-campagne/

[4] De nouvelles données du recensement et de l’enquête Logement, nécessaires pour comparer la mobilité résidentielle depuis la crise du Covid à celle de la situation pré-Covid, ne seront disponibles que plusieurs années après le début de la crise.

[5] https://popsu.archi.fr/ressource/synthese-des-resultats-exode-urbain-un-mythe-des-realites

Date de parution : Avril 2023

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