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De l’efficacité à la frugalité, une brève histoire de la performance environnementale dans la construction

Novembre 2021

L'expert

Expert - Kateryna Kuzmenko

Kateryna Kuzmenko

Responsable Développement Durable & Innovation

La notion de performance environnementale dans la construction a longtemps été réduite à l’efficacité énergétique de la phase d’exploitation du bâtiment, c'est-à-dire à l’énergie utilisée pour le chauffage, l'éclairage, l’eau, etc.

Cette vision vient principalement du contexte historique de l’apparition du cadre réglementaire, développé et mis en place suite au premier choc pétrolier de 1971, événement qui marque la société occidentale par la prise de conscience de la finitude des ressources énergétiques de la planète. L'énergie devient un sujet d'inquiétude ainsi que l’objet principal du cadre réglementaire. Dès lors, d’une version de la norme à l’autre, les exigences de l’isolation thermique augmentent jusqu’à doubler l'épaisseur des murs, faisant progressivement baisser la consommation de l'énergie de la phase d’exploitation. Autrement dit, la réduction de l'énergie opérationnelle est obtenue par l’augmentation de la quantité des matériaux utilisés, en illustrant précisément les phénomènes de transfert d’impact et de transfert de pollution dans le cycle de vie du bâtiment.

Analyse de Cycle de Vie

Les phénomènes de transfert d’impact et transfert de pollution font partie du cadre théorique de la méthode d’évaluation environnementale Analyse du Cycle de Vie (ACV). En bref, la méthode consiste à tracer tous les flux de ressources et d'énergie nécessaires pour le fonctionnement d’un système depuis l’extraction de la matière première jusqu’à la fin de vie (voir figure 1). Ces flux sont ensuite traduits en impacts environnementaux selon plusieurs catégories : changement climatique (bilan carbone), toxicité, pollution dans l’eau et dans l’air, radiation ionisante, etc. La méthode permet ainsi de quantifier ces impacts environnementaux, ainsi que d’identifierles transferts d’impact d’une phase de cycle de vie à une autre et les transferts de pollution d’une catégorie d’impact à une autre. En reprenant l’exemple de l’introduction : la réduction de l'énergie opérationnelle est obtenue par l’augmentation du matériau d’isolation, faisant en sorte que l’impact de ce matériau (relatif à l’extraction, transformation et la mise en œuvre) peut être égale voire supérieure à l’impact de l’énergie économisée en phase d’exploitation. Autrement dit, l’impact total sur le cycle de vie ne diminue pas, mais ne fait que se déplacer de la phase d’exploitation aux phases antérieures (transfert d’impact), modifiant également le type de pollution produite par le système (transfert de pollution relative à l’énergie à celle relative aux matériaux).

Figure 1. Six étapes principales du cycle de vie du bâtiment.

Dans le secteur de la construction, on distingue particulièrement l’impact opérationnel du bâtiment, lié à la phase de l’exploitation et l’impact intrinsèque (parfois impact gris), lié aux phases antérieures de l’extraction des matières primaire, transformation, transport et construction.

En règle générale, les phénomènes de transfert d’impact et transfert de pollution arrivent systématiquement suite à l'optimisation environnementale partielle, c’est-à-dire une optimisation adressant soit une seule phase du cycle de vie (e.g. la phase d’exploitation du bâtiments) soit une seule catégorie d'impact (e.g. énergie ou carbone).

De ce fait, chacune des stratégies de l'éco-conception développée à ce jour dans le secteur de la construction contient plusieurs transferts d’impact et de pollutions. C’était le cas de la surisolation de l’enveloppe et des systèmes de doubles peaux, décrit précédemment ; c’est également le cas de la construction bois, l’impression 3D, le recyclage des matériaux ainsi que le réemploi des éléments de construction. Autrement dit, un problème environnemental est systématiquement remplacé par un autre et donc la stratégie de l'éco-conception véritablement efficace sur l’ensemble de cycle de vie reste encore à développer.

De l’Efficacité à la Frugalité

La prolifération actuelle des considérations environnementales autour des émissions de gaz à effet de serre, production des déchets, étalement urbain, raréfaction des matériaux bruts, etc., provoque un glissement sémantique dans ce que l’on considère être une stratégie durable. En effet, le vocabulaire de l’efficacité et de la performance, propre au domaine de l’énergie, semble progressivement évoluer vers la notion de frugalité, représentant plus adéquatement l’ensemble des enjeux contemporains. En terme formels, la frugalité procure une image d’un objet architectural sobre voire austère, économe en ressources et matériaux, autarcique comme des villes post-carbones. La frugalité est donc une nouvelle efficacité.

Cependant, malgré ce glissement sémantique, le défi initial reste le même : être frugal sur l’ensemble du cycle de vie et éviter des nouveaux transferts d’impact et transferts de pollutions. De nouveau, une stratégie de conception et construction véritablement frugale reste encore à développer.

Date de parution : Novembre 2021

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