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Le bureau, un lieu pour collaborer

Juillet 2021

L'expert

Marc Bertier

Marc Bertier

Expert Workplace Strategy

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mbertier@kardham.com

Demain, avec le déploiement du télétravail, nous irons au bureau pour sociabiliser et collaborer dans un lieu de vie. Cette prévision, qui revient de façon régulière depuis les années 1990, se traduira par un grand coup de barre dans la conception des environnements de travail : la surface allouée au travail individuel se réduira drastiquement au profit des espaces collaboratifs. Mais collaboratifs pour qui et pour y faire quoi ?

Avant la crise sanitaire, les postes attribués occupaient 60 à 70 % de la surface totale d’un espace de travail standard, le reste était affecté aux espaces collaboratifs. Dans les projets les plus innovants, en activity-based working par exemple, le rapport entre les deux types d’espaces pouvait atteindre 50/50. Pour prendre en compte la croissance attendue du télétravail, certains préconisent aujourd’hui d’augmenter encore la proportion des espaces collaboratifs (jusque 70 % du total). Pour ce faire, la surface allouée aux salles de réunion de tous types (formelles, de créativité, de brainstorming, etc.) sera accrue, mais le mode de comptabilisation de certaines positions de travail sera modifié : dès lors qu’un poste de travail pourra être utilisé pour une activité collaborative, il sera compté comme tel (ainsi, par exemple, les places aux grandes tables partagées entreront-elles dans la catégorie collaborative).

Cette évolution, rendue possible par la non-attribution des postes de travail et par une flexibilité accrue de l’espace, marque une rupture par rapport aux tendances observées jusqu’alors. En effet, selon le baromètre Actineo 2019, 66 % des collaborateurs travaillent dans des bureaux fermés (individuels ou à plusieurs occupants) avec une répartition des surfaces 70 individuel/30 collaboratif ; 20 % sont en espace ouvert, avec une répartition 60/40 ; et 14 % des collaborateurs occupent des espaces flexibles avec un rapport 50/50.

Comme le montre le croquis ci-dessous, depuis sa première édition en 2011, le Baromètre Actineo relève une croissance régulière de la proportion d’employés travaillant en espace ouvert et sans postes attribués, et une décroissance symétrique du nombre de collaborateurs travaillant en espace fermé, collectif ou individuel. Le bureau collaboratif est donc une tendance lourde. Il sera intéressant d’en observer l’évolution (accélération ou décélération) dans les années à venir.

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Avant d’interroger le bien-fondé de l’assertion : « Le bureau de demain sera le lieu de la collaboration et de la sociabilisation » et des projections en espace en découlant, revenons sur les arguments qui la soutiennent. La plupart proviennent d’études qui évaluent, généralement par questionnaire, la performance de différentes activités au bureau et à la maison.

Leesman, par exemple, compare 21 activités réalisées au bureau et à la maison. Seules 6 d’entre elles obtiennent un meilleur score au bureau qu’à la maison : apprendre des autres, échanger informellement, travailler créativement en équipe, étaler des documents, utiliser de l’équipement ou du matériel spécialisé, recevoir des visiteurs ou des clients. L’analyse de la nature de ces activités conduit à conclure que le bureau est plus propice aux échanges.

Une étude réalisée par l’équipe R&D de Kardham évaluant le travail à distance sur 61 critères différents, relève que 2 d’entre eux ont une évolution particulièrement alarmante : le temps passé en réunion (qui s’allonge considérablement) et les échanges transversaux (qui deviennent moins fréquents). Une analyse complémentaire montre, par ailleurs, une augmentation de l’ordre de 10 % de la qualité de la collaboration intra et inter équipes lorsqu’il y a un retour partiel au bureau.

Le bureau est donc, sans conteste, un lieu favorisant l’échange. Mais, pour autant, faut-il bouleverser de façon drastique la typologie de ses espaces ? Les espaces collaboratifs doivent-ils se tailler la part du lion ? Dans le numéro 59 de cette revue, nous avons présenté les résultats d’une étude de l’influence du travail à distance sur l’évolution des modes de travail (2 000 répondants à un même questionnaire avant et après la crise sanitaire). Nous avons montré qu’elle était la plus forte chez les collaborateurs dont le travail est majoritairement individuel, qui passent alors environ 20 points de plus de leur temps à échanger.

En revanche, ceux ayant plus d’activités collaboratives n’ont pas perçu d’évolution significative de leur manière de travailler. Dans une entreprise, cette catégorie représente généralement entre 25 % et 40 % des collaborateurs et la typologie d’espaces dont ils ont besoin n’évoluera qu’à la marge avec la montée en puissance du travail à distance. Avant la crise, ils avaient l’habitude d’aller de réunion en réunion (la moitié de 4 personnes ou moins), ils continueront de le faire après. Avec le télétravail, l’utilisation des petits espaces de réunion pourrait croître car les grandes réunions se feront désormais à distance ou de façon hybride ; pour conserver à la fois flexibilité et confort d’usage, il conviendra aussi de doter toutes les salles de l’équipement indispensable aux échanges à distance. Cette évolution sera, à l’évidence moins sensible dans les sites fonctionnant en réseau où les interactions en distanciel étaient déjà monnaie courante.

Pour ce type d’activités, il s’agira donc essentiellement de redimensionner les espaces nécessaires en fonction d’un taux de présence réduit, compte tenu d’une pratique plus intensive du télétravail. La prévision de ce nouveau taux peut néanmoins se révéler délicate. En effet, différentes études montrent que les profils collaboratifs sont ceux qui souhaitent le plus retourner au bureau : soit parce qu’ils estiment que cet environnement de travail correspond le mieux à leurs besoins ; soit parce que ce sont des managers qui doivent animer leurs équipes (les premières observations indiquent qu’un certain nombre d’entre eux estiment devoir être plus présents sur site). Enfin, les populations les plus nomades pourraient être appelées à se déplacer moins fréquemment et donc à être plus présentes soit au bureau, soit au domicile.

Le travail en distanciel pourrait donc n’affecter qu’à la marge les besoins de cette catégorie de collaborateurs, les évolutions dans les deux sens se compensant. Qu’en est-il pour ceux dont le travail est plus individuel ? Collaboreront- ils davantage lorsqu’ils seront au bureau ? Parmi ceux qui travaillent principalement seuls se trouvent, tout d’abord, ceux qui travaillent de façon « intégrée » et qui peuvent représenter de 30 à 45 % des collaborateurs d’un site. Ils ont toutefois besoin d’être les uns à côté des autres pour se synchroniser et partager leurs expériences ; ils travaillent souvent en mode projet. Ce sont, par exemple, des développeurs logiciels, des chefs de produit marketing, des auditeurs ou des chercheurs. Il faut leur adjoindre aussi les collaborateurs qui ont un rôle de support (comme le suivi administratif de projets ou d’affaires) qui doivent pouvoir capter l’information au fil des discussions. Ils sont en général moins autonomes et ont des interlocuteurs plus variés lors d’échanges plus courts tout au long de la journée.

Ces profils intégrés font partie de ceux qui estiment passer plus de temps à échanger avec le travail à distance. Vont-ils pour autant passer plus de temps à collaborer ou se réunir lorsqu’ils sont au bureau ? Avant le télétravail pour tous, ces profils ne participaient souvent qu’à peu de réunions, 1 réunion d’équipe et 1 ou 2 réunions projet par semaine, par exemple. Il est probable que ces réunions soient préférentiellement organisées durant les jours de présence au bureau, ce qui fait augmenter d’environ deux tiers le temps passé en réunion lorsqu’ils sont au bureau (dans le cas de deux jours par semaine en télétravail). Il faudra toutefois prendre en compte la nature des réunions pour valider cette hypothèse : le retour d’expérience montre, en effet, qu’une réunion d’information descendante avec de nombreux participants peut être plus efficace à distance qu’en présentiel.

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Où et comment s’effectuera le reste du travail au bureau ? S’ils ont besoin d’être à proximité les uns des autres (notamment d’être dans une même zone de contact visuel), c’est parce que cela augmente significativement les possibilités d’échange. Ces interactions contribuent à la construction d’un climat de confiance favorisant la bonne articulation des contributions individuelles et le partage de connaissance et, in fine, participent à la performance du groupe. Autrement dit, pour ces profils, le véritable enjeu du retour au bureau est de cultiver l’interconnaissance. Ils reviendront donc au bureau pour se connaitre en passant du temps ensemble plus que pour collaborer. Il est probable qu’ils cherchent donc à se retrouver dans un espace partagé qu’ils tenteront de s’approprier d’une façon ou d’une autre. 

Viennent enfin ceux qui effectuent des tâches plutôt seuls et en suivant des processus (entre 25 % et 35 % des collaborateurs). Ils tendent à être ceux qui ont le moins envie de retourner au bureau. Ils sont généralement des points de repères, des personnes à qui l’on s’adresse en cas de besoin : le service RH, le service paye, etc. Grâce à la distanciation imposée par le télétravail, ils ont souvent mieux organisé leur travail et leurs relations aux autres. Pour eux aussi, l’enjeu est de conserver l’unité de leur groupe, notamment pour répartir la charge de travail et harmoniser les pratiques. Leurs réunions sont donc plutôt régulières. À leur retour, il est probable qu’ils reprendront leurs rituels et que le travail à distance aura un impact assez faible sur leurs activités.

Comme dans le cas des profils collaboratifs, l’enjeu pour ces deux derniers groupes marqués par le travail individuel, sera de dimensionner leur besoin en positions de travail. Si, avant crise, le télétravail était pratiqué moins d’un jour par semaine, qu’il pourrait être porté à deux ou trois et, enfin, que leur taux de présence ne dépasse que rarement 70 % en pic, on peut estimer que ce pic pourrait baisser de 20 points.

Au vu des modes de fonctionnement décrits précédemment, l’enjeu principal du bureau sera de générer des rencontres entre collaborateurs. Pour cela, nous savons depuis des décennies qu’une certaine densité d’occupation des espaces est nécessaire. La véritable inflexion générée par le déploiement du télétravail sera donc plutôt de rendre acceptable le débat sur l’optimisation de l’usage des surfaces. Ensuite, il faudra faire évoluer la typologie des espaces pour prendre en compte les besoins associés à la croissance attendue du temps passé en activités collaboratives, tant dans les espaces d’équipe que dans des espaces fermés. 

Pour en savoir plus sur l'impact de la proximité et le développement des relations interpersonnelles : Elena Rocco, Trust Breaks Down in Electronic Contexts but Can Be Repaired by Some Initial Face-to-Face Contact, 1998 ; ou encore consulter les travaux de Thomas Allen

 

Article publié dans la revue N°60 d'Office et Culture

Date de parution : Juillet 2021

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Docteur en Sciences de Gestion, Post-Doc en Worplace Management à l'ESSEC & Associate Professor à l'Institut Paul Bocuse

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Ingrid Nappi

Ingrid Nappi

Economiste, professeur HDR à l'ESSEC, titulaire des chaires Immobilier et Développement Durable et Workplace Management