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Anticiper les besoins de flexibilité

Mai 2023

L'expert

Marc Bertier

Marc Bertier

Expert Workplace Strategy

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mbertier@kardham.com

Les environnements de travail sont bien souvent la réponse à un besoin exprimé à un instant t. Or le changement dans les organisations est constant et plus rapide que celui des lieux, et il n’est pas rare qu’au moment de la livraison, un aménagement soit déjà obsolète. C’est tout l’enjeu de la flexibilité. Quelles sont les différentes manières de l’aborder ?

L’objectif de la flexibilité est de concevoir des lieux qui vont facilement s’accommoder aux évolutions d’une organisation. Ces évolutions peuvent être : des changements de la structure organisationnelle (hiérarchique/horizontale, fonctionnelle, divisionnelle, matricielle, etc.), une modification des méthodes de travail (dématérialisation, agile, lean, etc.), des conditions de travail (outils de communication, digital, télétravail, etc.), ou des effectifs (croissance, décroissance). Sur le plan pratique, ces évolutions vont impacter l’environnement de travail sur ses deux composantes : qualités et quantités.

Pour ce qui est de la dimension qualitative, l’environnement de travail va devoir s’adapter à de nouveaux besoins. Comment utiliser le même espace pour des usages différents ? Un premier exemple typique de cette problématique est un espace devant s’adapter à un moment à des équipes factory (ou de run, de delivery…) et à un autre à des équipes projet. Un second exemple est un espace devant répondre à la transformation des modes de travail d’une équipe, sans pour autant qu’elle change de métier. Par exemple, comment un même espace peut-il permettre de passer d’un management hiérarchique à un management plus horizontal ?

Dans la majorité des cas, la flexibilité est avant tout la possibilité de changer les usages tout en adaptant certains espaces, notamment par des mobiliers reconfigurables ou par de nouveaux équipements. Cette forme de flexibilité est garantie par la mise en place de structures programmatiques. Elles fonctionnent comme des écosystèmes prenant en compte les typologies d’espaces et leurs dimensionnements. Il existe des structures programmatiques pour toutes les grandes typologies de besoins (travail individuel, convivialité, collaboration-apprentissage, support). À ces structures programmatiques s’ajoutent des structures techniques, qui sont des manières de projeter l’espace de façon à garantir sa reconversion facile. Ces structures techniques constituent un socle sur lequel chacun peut interchanger des espaces (ou usages) selon ses spécificités.

Dans la majorité des cas, ces structures sont pensées pour être évolutives. Dans d’autres, elles sont pensées comme étant finies et fermes. Dans ces derniers cas, ce sont les occupants qui s’adaptent aux espaces.

Les solutions basées sur l’adaptation sont souvent perçues comme étant les plus souhaitables. Elles offrent de réels leviers d’appropriation de l’espace et, dans l’imaginaire collectif, elles sont plus faciles à mettre en œuvre. À l’opposé, les structures finies sont perçues comme étant plus rigides et moins souhaitables. Plus la rupture entre l’environnement de travail de départ et la cible sera importante, plus ces dernières seront difficiles à mettre en place. Les structures finies seront cependant plus robustes dans le temps.

Pour autant, cette approche par l’adaptation risque de devenir un frein à la flexibilité elle-même. Le sujet est moins la réadaptation des espaces que la résistance au changement : il va falloir embarquer un collectif installé vers un changement induit par une décision hiérarchique ou stratégique qui parfois, nous le verrons, ne le touche pas toujours directement. Contrairement à l’approche ferme, l’approche par l’adaptation impacte les coûts et les délais de mise en place de la flexibilité. Pour changer, il faudra notamment négocier avec les uns et les autres. Au contraire, avec le modèle de la structure ferme, individus et espaces continuent à se plier ensemble aux exigences de la flexibilité. Les individus s’adaptent aux espaces existants, et ces derniers sont conçus de façon à être multi-usages et à s’adapter à différents usages.

Ces limites de la flexibilité ne tiennent compte que des changements qualitatifs (modes de travail, d’organisation). Ces changements sont pourtant fréquemment liés à des changements quantitatifs : croissance et décroissance des sous-groupes et/ou du grand groupe. Étudions tour à tour les besoins de flexibilité induits par des cas de croissances puis de décroissance.

Le premier cas est celui d’une croissance à peu près homogène au sein d’une organisation. La pression au changement s’exprime de façon uniforme et tous sont concernés. Les réponses sont alors : augmentation des surfaces, mise en place d’un partage des espaces, optimisation du taux de partage. Les choix qui auront été fait au moment du projet initial sont donc déterminants pour assurer la flexibilité des aménagements dans le temps. Dès lors que l’organisation ne dispose pas de réserves d’espaces, la réponse va dépasser le sujet immobilier. Elle va interroger les conditions de travail (télétravail, notamment), ces dernières posant la question des méthodes de travail (dématérialisation, par exemple) pour, finalement, questionner la structure organisationnelle elle-même (management hybride). Permettre la flexibilité quantitative sans transformer peut être possible grâce à un investissement a priori, mais peu sont prêts à le faire. Au moment où la décision est prise, les conditions ne sont pas toujours réunies pour trouver des surfaces complémentaires dans la localisation et les délais impartis. Alors que tous valorisent la flexibilité, il reste difficile de prendre des surfaces destinées à rester vacantes en prévision d’un avenir plus ou moins prévisible. Et quand cela est possible, la sous-location ressemble bien souvent à un faux ami : les surfaces qui y sont destinées ne trouvent pas toujours preneur et lorsqu’elles sont occupées, leur libération ne concorde pas toujours avec les besoins de l’organisation.

Un deuxième cas est celui d’une croissance d’effectif non homogène. Par exemple, une division qui grandit fortement, ou une nouvelle division qui est créée. Les mêmes trois grandes solutions s’imposent, accompagnées de leurs impacts : augmentation des surfaces, mise en place d’un partage des espaces, optimisation du taux de partage. La principale différence avec le cas précédent est qu’une pression au changement provenant d’un groupe va largement impacter les autres groupes de travail. Le sujet devient alors managérial : pourquoi ceux qui ne sont pas impactés par le changement devraient eux aussi changer ? Et pourquoi devraient-ils subir les désagréments venant de changements extérieurs ? Pour ces deux cas de gestion de la croissance, les caractéristiques de l’immeuble, comme la qualité de la structure programmatique initiale, seront déterminantes. Elles minimiseront (ou non) les changements : équipes éparpillées dans un immeuble, équipes implantées à cheval sur deux zones.

Les cas de décroissance se pensent en miroir des cas de croissance mis à part qu’il faut maintenant gérer des espaces non-occupés. Face à la décroissance, les organisations souhaitent-elles libérer des surfaces ? Dans ce cas, il est possible que cette libération nécessite une réoccupation globale des espaces afin de constituer des zones bien occupées afin de dégager des surfaces vides. Ces réorganisations peuvent être difficile à porter auprès du corps social, voire parfois d’un management qui croit en un meilleur futur. Aussi dans d’autres cas, le mitage induit par la décroissance ne sera pas optimisé.

Ces quelques cas montrent les non pensés de la flexibilité. Certaines flexibilités (homogènes, continues) seront plus faciles à absorber que d’autres (hétérogènes, rapides). Si la flexibilité est une vertu, elle présente aussi des défauts : tendance à l’homogénéisation et génération de changements pour des personnes indirectement concernées (cas de croissance non homogène, cas de décroissance). Enfin, la flexibilité nécessite des investissements, ces derniers étant financiers (études préalables, réserves d’espaces, aménagements reconfigurables), fonctionnels (structures adaptatives ou finies), humains (gestion du changement) et stratégiques (l’espace s’adapte aux usagers ou inversement, rationalisation ou non). Ces différents choix permettent d’évaluer la flexibilité selon une logique investissement/coût/délais/impact humain/changement.

Date de parution : Mai 2023

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Philippe Clergeau

Ecologue, professeur émérite du Muséum National d’Histoire Naturelle, membre de l’académie d’agriculture de France et du think tank « Groupe sur l’Urbanisme Écologique », dirigeant de la collection « Écologies urbaines » aux éditions Apogée

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Economiste Doctorante - Meilleurs Agents