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Réusage et architecture : pour une construction du projet par les ressources disponibles

Février 2024

L'expert

Expert - Safa Ben Khedher

Safa Ben Khedher

Architecte DE-HMONP
Doctorante en architecture et ville au Centre de Recherche sur l'Habitat (CRH) du Laboratoire architecture, ville, urbanisme, environnement (LAVUE) de l'Ecole nationale supérieure d'architecture Paris-Val de Seine (ENSAPVS)

Le bâtiment et les travaux publics sont, avec 460 millions de tonnes de matériaux minéraux par an (ADEME, 2019), le premier secteur créateur de déchets en France. La récente loi Anti-gaspillage et économie circulaire du 10 février 2020, dite « loi Agec », oblige les maîtres d’ouvrage, à partir de janvier 2023, à établir un diagnostic « produits, équipements, matériaux, déchets » (PEMD) ainsi qu’à recourir au réemploi et à la réutilisation dans les projets de démolition et de réhabilitation. Dans ce contexte, les pratiques architecturales sont amenées à être remodelées pour intégrer les ressources déjà présentes dans le processus du projet.

L’article L. 541-1-1 du Code de l’environnement définit le déchet comme « toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire ». Ainsi, le détenteur de déchets, défini par ce même article comme le « producteur des déchets ou toute autre personne qui se trouve en possession des déchets », est le seul responsable de leur production. Si le réemploi constitue le seul moyen d’éviter qu’un matériau acquière le statut de déchet, son bénéfice est en revanche limité dans la mesure où il concerne uniquement les matériaux et les produits utilisés pour « un usage identique à celui pour lequel ils avaient été conçus » (article L. 541-1-1 du Code de l’environnement).

Du déchet à la ressource, notre recherche de doctorat est l’occasion d’étudier les possibilités offertes par les matériaux-ressources comme déclencheurs de nouvelles méthodes et outils de conception architecturale. Dans ce cadre, il paraît nécessaire de clarifier le propos en proposant notre propre définition des actions de prévention des déchets et d’utilisation des ressources disponibles. Nous proposons ainsi d’introduire la notion de « R-usage » ou « réusage » pour qualifier toute opération permettant l’usage durable d’une ressource en matériau, produit ou équipement issus d’une opération de construction ou déconstruction sur place ou à l’échelle locale. Le réusage ne saurait se limiter à la valorisation des ressources ni à l’optimisation de la production. Il les dépasse vers l’intégration des ressources dès la phase de conception, en considérant le bâtiment comme ressource à part entière. Il s’agit ainsi de penser toutes les échelles et d’œuvrer pour transmettre aux usagers et aux générations futures des ressources dont de nouveaux usages seront possibles.

Le réusage est un processus global de projet. Une analyse approfondie du site, du bâtiment, de son histoire et de ses opportunités spatiales permet dès lors de dessiner son devenir. De la conservation à la démolition, les acteurs du projet devront étudier différentes hypothèses avant de décider de l’acte de bâtir ou de démolir. Est-il vraiment nécessaire de démolir ? N’est-il pas possible de conserver l’existant ? De quels usages intermédiaires ou temporaires un bâtiment existant peut-il bénéficier le temps que le projet soit défini ? Quel programme s’adapte-t-il le mieux à l’existant ? Quels sont les usages les plus adéquats aux surfaces existantes ?

Le réusage constitue une pratique encore marginale par rapport à la quantité de déchets engendrés par le bâtiment. Les motifs qui décident un maître d’ouvrage à entamer une telle démarche ne sont pas strictement économiques ; d’autres raisons entrent également en jeu, telles que la motivation et l’engagement environnementaux, la conscience de l’intérêt patrimonial et historique d’un bâtiment, ou encore la disponibilité et la visibilité sur les ressources à l’échelle locale. L’acte de démolition, parfois obligatoire, doit être étudiée par le maître d’ouvrage dès la programmation et laissée en dernier recours si la conservation et la réhabilitation ne s’avèrent pas envisageables. Dans ce contexte, la ressource ne devrait-elle pas devenir une inspiration pour l’architecture ?

Date de parution : Février 2024

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M.Sc. Architecture, Doctorante en Urbanisme et Aménagement en cotutelle-de-thèse à l’université Jean-Jaurès Toulouse (laboratoire LRA) et au Karlsruhe Institute of Technology - Chair of Urban Housing and Development

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Architecte, doctorante en architecture et ville au Centre de Recherche sur l’Habitat du laboratoire LAVUE UMR 7218 CNRS

Enseignante à l’ENSA Paris Val-de-Seine et à l’Université PSL